La FIAC sous le regard d’Henri Jobbé-Duval
Henri Jobbé-Duval connaît bien la FIAC et le monde des salons : de la première, il a été le directeur artistique dès sa création en 1974 et jusqu’en 2001, tandis qu’on l’a vu à la manœuvre au Salon du Livre, à Art Paris, Révélations et actuellement pour La Biennale, dont la prochaine édition au Grand Palais Éphémère est prévue pour novembre 2023.
A l’annonce de l’attribution par la RMN-Grand Palais du créneau dévolu depuis des années à la FIAC à sa concurrente suisse Art Basel pour sept ans, il livre son analyse et sa vision de la foire qu’il a participé à faire naître.
La Réunion des musées nationaux – Grand Palais vient d’annoncer ne pas renouveler son contrat avec le groupe RX, organisateur de la FIAC, au profit de MCH, propriétaire d’Art Basel. Cette décision – qui signe un clap de fin pour la FIAC – vous surprend-elle ? Quelles en sont les raisons ?
H-J-D : J’espère que ce n’est pas et que ce ne sera pas un clap de fin. Même si j’ai été particulièrement surpris par cette décision et désolé de la situation dans laquelle se trouve la FIAC aujourd’hui, j’espère que la marque FIAC pourra rebondir avec une nouvelle définition et que nous en entendrons encore parler quelques années. Mais bien entendu, elle ne peut plus correspondre à ce qu’elle a été jusqu’à maintenant : il va falloir que le groupe RX redéfinisse le positionnement de la marque.
En ce qui concerne les raisons qui ont amené à cette situation, je ne suis pas forcément le mieux placé pour en parler mais ce que j’en sais, c’est que la RMN-Grand Palais a fini par faire valoir sa capacité à lancer un appel d’offres pour l’organisation d’une foire d’art contemporain – ce qui est conforme au statut des Monuments Historiques voués à des exploitations commerciales. Si elle l’a fait, c’est que ses relations déjà tendues avec le groupe RX se sont dégradées. Et cette décision met fin à la FIAC telle qu’elle existait depuis bientôt un demi-siècle. Personnellement, j’aurai souhaité fêter sa cinquantième édition dans le prolongement de ce qu’elle était à l’origine.
Quelles conséquences peut-on attendre de l’arrivée des organisateurs d’Art Basel à Paris dès octobre 2022, notamment concernant les galeries et la scène artistique françaises ? Ces dernières tendaient à retrouver une place dans les allées de la FIAC ces dernières années…
H-J-D : En soi, c’est plutôt une bonne nouvelle pour Paris. Art Basel a la capacité de faire venir un public international de haut niveau et autour de la manifestions qu’ils vont proposer, la scène française peut en bénéficier.
Pour la présence des galeries françaises en son sein, il est légitime de se questionner, mais il est indispensable pour cette manifestation que les galeries françaises les plus emblématiques y soient présentes. Par emblématiques, j’entends celles qui portent une ligne capable de rayonner internationalement, donc pas exclusivement de grandes enseignes mais également des galeries un peu plus modestes ayant la capacité de faire connaître à l’international des artistes de haut niveau.
C’est une révision de sa ligne en ce sens qu’avait opérée la FIAC dernièrement.
Pour Art Basel, on le voit avec la foire de Bâle, où les galeries suisses, même de dimensions plus régionales, ont toujours gardé une place, voire le même emplacement. Evidemment, il y a plus de galeries à Paris qu’en Suisse, mais le comportement des organisateurs d’Art Basel vis-à-vis des galeries historiques a été différent de celui en France, où certaines galeries françaises se sont retrouvées évincées de la FIAC alors qu’elles étaient encore présente à la foire de Bâle. L’arrivée de MCH peut donc vraiment booster l’événement parisien.
Vous avez accompagné la FIAC comme directeur artistique dès sa création en 1974 : quel regard portez-vous sur sa genèse et ses évolutions ?
H-J-D : Tout a démarré avec le souhait de Jean-Pierre Jouët [fondateur de l’OIP, société organisatrice de salons, ndlr] de créer de nouveaux événements en France, et il nous a semblé que le domaine de l’art contemporain s’y prêtait bien. Rencontrer Jean-Pierre Jouët et notre complicité ont été une chance pour penser cet événement et le positionner d’emblée, le rendre capable de se mettre en lien avec le secteur professionnel – même si à l’époque le comité professionnel pour les galeries d’art ne s’est pas intéressé au projet. Nous avons donc pris le parti de créer une association, le COFIAC, dont Daniel Gervis a été un premier président emblématique, notamment lors des longues discussions avec le Ministère de la Culture et en particulier Michel Guy, qui nous a accordé le Grand Palais en 1976.
Cela a permis de développer à Paris un événement susceptible de permettre aux acteurs français d’être mieux connus sur la scène internationale. Les années 1990 ont été synonymes d’affaiblissement du marché de l’art et des foires, d’autant plus pour la FIAC qui a dû quitter le Grand Palais en 1993 pour des raisons de sécurité.
Ce qui devait durer 18 mois s’est étendu sur 14 ans, où la FIAC a d’abord été obligée de déménager au Quai Branly pendant cinq années très difficiles. Lorsque nous nous sommes retrouvés à la Porte de Versailles en 1999, il était encore plus complexe de séduire les grandes galeries internationales. Enfin, en 2006 et avec le soutien du ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, la FIAC a pu regagner le Grand Palais et bénéficier de la Cour carrée du Louvre, retrouvant le centre de Paris. Pendant toutes ces années, la collaboration de Martin Bethenod et l’action de Jennifer Flay comme directrice ont permis à la FIAC de devenir le grand rendez-vous international de l’art contemporain. La perte de cet outil inédit pour la scène française est pour moi désolante et j’espère qu’une prise de conscience des acteurs, les galeries, les organisateurs et les propriétaires de la marque RX permettra à la FIAC de rebondir et de relancer un nouveau projet. Et que la FIAC, qui a été porteuse de valeurs telles que l’échange culturel, patrimonial et économique, continuera à l’être.