Prix AWARE 2018
L'exposition
Créé à l’initiative de l’association éponyme, engagée dans la reconnaissance des artistes femmes par la connaissance de leurs œuvres, le Prix AWARE récompense simultanément une artiste dont la carrière est largement avancée et une autre en début de parcours. Une exposition réunissant huit nominées – quatre de chaque catégorie choisies par quatre rapporteurs – a lieu chaque année. Après les vitrines du Ministère de la Culture au Palais Royal qui ont vues récompensées en 2017 Judit Reigl et Laetitia Badault-Haussman, c’est dans les appartements de la princesse de l’Hôtel de Soubise, abritant les Archives Nationales, que cette exposition se tient cette année.
Exposer dans le lustre rocaille et désuet de l’enfilade des appartements d’une princesse dont les faits et gestes étaient vouées à l’apparat aurait pu virer à la confrontation stérile, ou à l’anachronisme. Il n’en est rien. Loin de négliger l’histoire des lieux, cette exposition en tire un habile parti, entrant le plus souvent en résonance avec elle et la figure de son occupante, sans se réduire à son seul commentaire. C’est le cas de la collection d’images qui ouvre l’exposition : déposés par Marianne Mispelaëre, née en 1988, face au lit où la princesse se prêtait aux regards derrière la protection toute symbolique d’une balustrade dorée, des piles de cartes postales exhibent des gestes saisies depuis les printemps arabes lors de rassemblement spontanés. Plusieurs lectures se superposent, depuis la protestation faite aux puissants jusqu’à l’irruption de ces gestes comme autant de signes, sans s’écarter les unes les autres. C’est aussi tangible avec l’œuvre sonore de Tania Mouraud mêlant les chants de différentes cultures pour ouvrir « un supplément d’espace », inhibant toute hiérarchisation en une même composition polyphonique. Diffusée dans cette même chambre, elle en teinte le décorum et les récits orchestrées par les peintures de Boucher, y fait entendre d’autres voix. Plus loin, dans le salon de la princesse considéré comme la pièce maîtresse de l’Hôtel, Clément Dirié a choisi de montrer le film Le Chevalier d’Éon (1978) que Nil Yalter a construit sur un parallèle entre l’histoire de cet espion de Louis XV, un temps dame de cour d’Elisabeth Iere de Russie, et le passage d’un genre à l’autre d’un de ses amis. À cette ambigüité sexuelle, l’artiste – présentée en « duo » avec Mélanie Matranga – donne la valeur un exemple d’époque à la reconnaissance transgenre, prenant parti d’un récit peu connu oscillant entre intime et représentation. Cette transformation d’identité oriente également le travail de Nicola L., proche des Nouveaux Réalistes dans les années 1960 : incarnation d’un corps collectif en endossant à plusieurs la « peau » d’une vaste toile ou transformation critique de la femme en mobilier dans Little TV Woman, visible dans l’exposition, exprime les possibilités du travestissement. La grande table de Julie Béna qui partage la même salle semble un peu attendre d’être utilisée – c’est d’ailleurs sa destination, lors de performances. Le dernier « duo » est constitué de Vera Molnár (née en 1924 en Hongrie), dans la catégorie d’honneur et de Violaine Lochu comme jeune nominée. Pour présenter l’œuvre de la doyenne d’un art minimaliste et géométrique à la française – Vera Molnár est arrivée à Paris en 1947 –, sa rapporteuse Géraldine Gourbe en a exhumé un aspect moins connu, à savoir l’édition de livres qui dialoguent ici avec bonheur avec les ouvrages appartenant aux archives. Pour Violaine Lochu, ce sont des partitions, schémas graphiques parsemés d’images, qui sont visibles. Là encore, c’est la performance qui leur donnera leur intégrité : une bande sonore vient en donner un indice, où la seule voix de l’artiste vient en jouer une multitude.
Tom Laurent
Violaine Lochu est lauréate du prix AWARE 2018. Vera Molnár et Nil Yalter remportent, ex-aequo à l’unanimité du jury, le prix d’honneur AWARE 2018.
Exposer dans le lustre rocaille et désuet de l’enfilade des appartements d’une princesse dont les faits et gestes étaient vouées à l’apparat aurait pu virer à la confrontation stérile, ou à l’anachronisme. Il n’en est rien. Loin de négliger l’histoire des lieux, cette exposition en tire un habile parti, entrant le plus souvent en résonance avec elle et la figure de son occupante, sans se réduire à son seul commentaire. C’est le cas de la collection d’images qui ouvre l’exposition : déposés par Marianne Mispelaëre, née en 1988, face au lit où la princesse se prêtait aux regards derrière la protection toute symbolique d’une balustrade dorée, des piles de cartes postales exhibent des gestes saisies depuis les printemps arabes lors de rassemblement spontanés. Plusieurs lectures se superposent, depuis la protestation faite aux puissants jusqu’à l’irruption de ces gestes comme autant de signes, sans s’écarter les unes les autres. C’est aussi tangible avec l’œuvre sonore de Tania Mouraud mêlant les chants de différentes cultures pour ouvrir « un supplément d’espace », inhibant toute hiérarchisation en une même composition polyphonique. Diffusée dans cette même chambre, elle en teinte le décorum et les récits orchestrées par les peintures de Boucher, y fait entendre d’autres voix. Plus loin, dans le salon de la princesse considéré comme la pièce maîtresse de l’Hôtel, Clément Dirié a choisi de montrer le film Le Chevalier d’Éon (1978) que Nil Yalter a construit sur un parallèle entre l’histoire de cet espion de Louis XV, un temps dame de cour d’Elisabeth Iere de Russie, et le passage d’un genre à l’autre d’un de ses amis. À cette ambigüité sexuelle, l’artiste – présentée en « duo » avec Mélanie Matranga – donne la valeur un exemple d’époque à la reconnaissance transgenre, prenant parti d’un récit peu connu oscillant entre intime et représentation. Cette transformation d’identité oriente également le travail de Nicola L., proche des Nouveaux Réalistes dans les années 1960 : incarnation d’un corps collectif en endossant à plusieurs la « peau » d’une vaste toile ou transformation critique de la femme en mobilier dans Little TV Woman, visible dans l’exposition, exprime les possibilités du travestissement. La grande table de Julie Béna qui partage la même salle semble un peu attendre d’être utilisée – c’est d’ailleurs sa destination, lors de performances. Le dernier « duo » est constitué de Vera Molnár (née en 1924 en Hongrie), dans la catégorie d’honneur et de Violaine Lochu comme jeune nominée. Pour présenter l’œuvre de la doyenne d’un art minimaliste et géométrique à la française – Vera Molnár est arrivée à Paris en 1947 –, sa rapporteuse Géraldine Gourbe en a exhumé un aspect moins connu, à savoir l’édition de livres qui dialoguent ici avec bonheur avec les ouvrages appartenant aux archives. Pour Violaine Lochu, ce sont des partitions, schémas graphiques parsemés d’images, qui sont visibles. Là encore, c’est la performance qui leur donnera leur intégrité : une bande sonore vient en donner un indice, où la seule voix de l’artiste vient en jouer une multitude.
Tom Laurent
Violaine Lochu est lauréate du prix AWARE 2018. Vera Molnár et Nil Yalter remportent, ex-aequo à l’unanimité du jury, le prix d’honneur AWARE 2018.
Quand
24/01/2018 - 12/03/2018