Jean Tinguely. '60s
L'exposition
C’est une exposition d’envergure muséale que consacre la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois à Jean Tinguely, en rassemblant une quinzaine d’œuvres datées du début des années 1960 – dont certaines jamais montrées au public – dans leurs deux espaces, rue de Seine à Paris. Tant et bien que plusieurs font déjà partie du musée : le grand relief motorisé intitulé Bascule (1967) par exemple, a été prêté pour l’occasion par la Collection Renault. Et si les mécanismes autant grinçants que ludiques de Tinguely participent de l’histoire de l’art contemporain – en en préfigurant nombre d’orientations –, chaque pièce a aussi sa petite histoire à raconter et sa ritournelle à faire entendre.
La période est celle des grands chambardements : à la poésie mobile de ses débuts inspirée par Calder fait place les assemblages de guingois, hétéroclites et motorisées pour singer la frénésie des temps présents. Tinguely, lors d’un séjour à New York en 1960, a découvert les possibilités de la soudeuse électrique grâce à Richard Stankiewicz et s’est rendu coupable de l’implosion au MoMA de sa première machine autodestructrice, L’Hommage à New York. L’artiste agrège des matériaux de peu et des rebuts, roues à crans, fils de fer, jouets et pacotilles. S’il confia plus tard que « tout dans la vie peut être utilisé pour la création artistique, même les doute les plus noirs et les accidents les plus sinistres », la vue de ses structures désarticulés par le jeu d’un moteur font plutôt sourire. Mais les débris amalgamés dans Les Souliers, Troïka ou Vive la liberté I relèvent de l’humour noir. En grimant ses machineries de propriétés humaines – comme les chaussures usées des Souliers qui clopinent sur elles-mêmes lorsque la pièce est mise en marche –, il s’inscrit en faux par rapport aux injonctions productivistes d’alors. La galerie a également rassemblé quatre pièces motorisées de la série des Balubas, qui tient son nom d’une ethnie congolaise aux danses frénétiques, dont est issu Lumumba, le président tout juste assassiné. Fourrure, gorilles en plastique, plumes leur confèrent un aspect plus ludique, dans lequel on peut observer la « patte » de Niki de Saint-Phalle, sa compagne d’alors. L’une d’elles lui est d’ailleurs destinée. Comme souvent chez Tinguely, se télescopent commentaires sur l’actualité et fascination scopique pour le mouvement, interaction avec ses proches et dimension publique.
Aux œuvres elles-mêmes, les galeristes ont eu le bon ton de mettre en regard des photographies d’époque les montrant dans l’atelier « artisanal » de Tinguely, pour exposer un art en cours d’invention – et la vidéo de l’autodestruction programmée de Study for an End of the World n°2 (1962) dans le désert du Nevada. Leur proximité avec les ayants-droits de l’artiste, à rapprocher du travail qu’ils mènent avec ceux de Nikki de Saint-Phalle ou plus récemment d’Alain Jacquet, le leur permet. La bonne nouvelle est qu’ils mettent l’accent sur la part sonore du travail de l’artiste, très tôt frayé aux théories bruitistes. Ayant trait à la musique concrète dans les grincements et les fracas assourdissants de ses structures motorisées, Tinguely anticipe sur le développement des musiques électroniques et leur chant de la machine, notamment dans la série des Plexi Radio WNYR. Comme en orbite derrière leur plaque en Plexiglas – rejouant à sa manière l’écran de télévision diffusant les images de la conquête spatiale – des haut-parleurs diffusent les fréquences environnantes avec la qualité d’époque. Un credo que ne renierait pas nombre de musiciens bricolant encore aujourd’hui leurs consoles, dans les pas de Stockhausen ou de la techno industrielle.
Tom Laurent
La période est celle des grands chambardements : à la poésie mobile de ses débuts inspirée par Calder fait place les assemblages de guingois, hétéroclites et motorisées pour singer la frénésie des temps présents. Tinguely, lors d’un séjour à New York en 1960, a découvert les possibilités de la soudeuse électrique grâce à Richard Stankiewicz et s’est rendu coupable de l’implosion au MoMA de sa première machine autodestructrice, L’Hommage à New York. L’artiste agrège des matériaux de peu et des rebuts, roues à crans, fils de fer, jouets et pacotilles. S’il confia plus tard que « tout dans la vie peut être utilisé pour la création artistique, même les doute les plus noirs et les accidents les plus sinistres », la vue de ses structures désarticulés par le jeu d’un moteur font plutôt sourire. Mais les débris amalgamés dans Les Souliers, Troïka ou Vive la liberté I relèvent de l’humour noir. En grimant ses machineries de propriétés humaines – comme les chaussures usées des Souliers qui clopinent sur elles-mêmes lorsque la pièce est mise en marche –, il s’inscrit en faux par rapport aux injonctions productivistes d’alors. La galerie a également rassemblé quatre pièces motorisées de la série des Balubas, qui tient son nom d’une ethnie congolaise aux danses frénétiques, dont est issu Lumumba, le président tout juste assassiné. Fourrure, gorilles en plastique, plumes leur confèrent un aspect plus ludique, dans lequel on peut observer la « patte » de Niki de Saint-Phalle, sa compagne d’alors. L’une d’elles lui est d’ailleurs destinée. Comme souvent chez Tinguely, se télescopent commentaires sur l’actualité et fascination scopique pour le mouvement, interaction avec ses proches et dimension publique.
Aux œuvres elles-mêmes, les galeristes ont eu le bon ton de mettre en regard des photographies d’époque les montrant dans l’atelier « artisanal » de Tinguely, pour exposer un art en cours d’invention – et la vidéo de l’autodestruction programmée de Study for an End of the World n°2 (1962) dans le désert du Nevada. Leur proximité avec les ayants-droits de l’artiste, à rapprocher du travail qu’ils mènent avec ceux de Nikki de Saint-Phalle ou plus récemment d’Alain Jacquet, le leur permet. La bonne nouvelle est qu’ils mettent l’accent sur la part sonore du travail de l’artiste, très tôt frayé aux théories bruitistes. Ayant trait à la musique concrète dans les grincements et les fracas assourdissants de ses structures motorisées, Tinguely anticipe sur le développement des musiques électroniques et leur chant de la machine, notamment dans la série des Plexi Radio WNYR. Comme en orbite derrière leur plaque en Plexiglas – rejouant à sa manière l’écran de télévision diffusant les images de la conquête spatiale – des haut-parleurs diffusent les fréquences environnantes avec la qualité d’époque. Un credo que ne renierait pas nombre de musiciens bricolant encore aujourd’hui leurs consoles, dans les pas de Stockhausen ou de la techno industrielle.
Tom Laurent
Quand
09/09/2016 - 29/10/2016