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LA CHRONIQUE DE PASCAL BONAFOUX



Matisse Marquet Correspondance 1898-1947.
Bibliothèque des arts, 2008, 195 pages.

Matisse Rouveyre Correspondance.
Flammarion, 2001, 667 pages.


M comme Matisse, Marquet, aMitié et coMplicité

Si, pour une raison ou une autre, il vous est impossible de passer par d’ici le 2 novembre prochain, prenez le temps d’entrer dans une librairie pour y acheter ou y commander la correspondance de Matisse et Marquet entre 1898 et 1947. Ceci, pour une raison aussi évidente que simple : les correspondances de peintres, rarement – très rarement – indifférentes, sont la plus pertinente introduction à leur œuvre. Et leurs dialogues ne cessent de donner à penser. Un exemple : le 26 avril 1859, Edgar Degas écrit à Gustave Moreau à propos d’un Philippe IV de Vélasquez et de Van Dyck vus à Turin : “Vous rappelez- vous quand vous m’approuviez nous disant qu’on aimait le tempérament d’un peintre de telle sorte que les bonnes et mauvaises pensées nous séduisent toujours également ?” Cette invitation à l’amour de la peinture et de ses pouvoirs est à la page 505 de la Correspondance d’Italie de Gustave Moreau que Luisa Capodieci publia chez Somogy en 2002, foisonnant volume d’un peu plus de 650 pages. À lire (ou à relire) d’autant plus que Gustave Moreau a été le maître de Matisse et de Marquet. Alors que Moreau est à peine plus âgé que ceux qui seront ses élèves à la fin du XIXe siècle, à un peu plus de 30 ans, de Rome, il écrit à ses parents : “J’ai certes, je le crois, quelque chose de bien neuf et de très élevé à dire en peinture, mais il faudra plus d’une oeuvre pour faire bien comprendre ce quelque chose. Il faudra l’oeuvre de toute ma vie pour le prouver.” C’est – hors de question d’en douter – ce “quelque chose”, qui ressemble comme un frère au je-nesais- quoi magnifiquement conçu par Vladimir Jankélévitch, que les correspondances permettent d’approcher. L’exposition de la galerie des Beaux- Arts de Bordeaux ne peut être que le prétexte à une autre lecture encore. Celle de la Correspondance de Matisse et d’André Rouveyre, magnifique volume présenté et annoté par Hanne Finsen que Flammarion publia
en 2001. La première lettre est datée 1905, la dernière 1954… Et Marquet ne cesse d’être cité par l’un et l’autre. Un demi-siècle de partage entre des peintres qui, au début des années 30, continuaient d’être les uns pour les autres des Ernest, surnom inventé au temps de l’École des beaux-arts. Cette absolue fidélité n’a été rompue que par la mort. Dans une lettre de Rouveyre à Matisse du 15 juin 1947, cette annonce terrible : “C’est hier après midi par radio que j’ai appris la mort de notre cher Marquet. J’y suis allé aussitôt. Mais je ne l’ai pas vu ; il était déjà ds la caisse quoique mort le matin même. Je l’ai bien regretté. Tu sais bien… nos regards à nous autres, ds une circonstance telle… c’est assez exceptionnel et intimement participant.” Et ça n’a pas cessé de l’être.