Sade, Attaquer le soleil
L'exposition
[…] Pascale Lismonde : Comment aborde-t-on les relations de l'œuvre de Sade à partir des collections du XIXe siècle du musée d'Orsay ?
Annie Le Brun : Sade est pour le XIXe siècle la figure maudite par excellence mais il n’en est pas moins lu par tous ceux qui pensent : Baudelaire, Flaubert, Huysmans, Mirbeau…, les Goncourt l’évoquent fréquemment dans leur Journal, rendant compte de sa présence dans les milieux artistes qu’ils fréquentent. À l’inverse, Sade ne semble pas avoir de rapport particulier avec la peinture. Mais dans la mesure où il est hanté par l’irreprésentable du désir, son propos rencontre les préoccupations des peintres d'alors au moment où les normes de la représentation sont particulièrement remises en cause, conséquence de la période révolutionnaire et de la montée de l’incroyance. C’est le début d’une révolution qui commence avec Ingres et Delacroix pour se prolonger à travers Cézanne et Picasso. En fait, cette exposition « révèle » alors, au sens photographique, une histoire secrète au cours de laquelle le désir échappe peu à peu à ses représentations codées, y compris à celles de l’imagerie licencieuse, pour devenir le sujet même de la peinture. Pourtant, leur grande diffusion au moment de la révolution témoigne d’un décentrement, de même que l’intérêt pour les premières gravures anatomiques en couleur, à commencer par celles de Gautier d'Agoty, qui rend compte d’interrogations nouvelles recoupant celles de Sade cherchant les ressorts de l'âme humaine jusque Dans la nuit du corps.
Ainsi, un étrange chemin se dessine de La Chasse aux lions de Delacroix, où lions et chevaux s'affrontent dans un terrible corps-à-corps, jusqu'à La Femme étranglée de Cézanne, saisie au moment du crime, dans un corps-à-corps comparable avec son assassin.
Il est fascinant de voir comment, tout au long du siècle, la violence du désir qu’on a reproché à Sade d’avoir dévoilé travaille les enjeux majeurs de la représentation qui se libère à son tour des présupposés religieux, idéologiques, moraux ou sociaux pour figurer l'image du corps et ses métamorphoses. « Si vous voulez le fond du coffre, l’escalier secret de l’alcôve, ne perdez jamais cette dernière clé », note Sainte-Beuve à propos des écrits de Sade. Mais ce rôle de clandestin, il le joue aussi dans l'histoire de la peinture. […]
Extrait de l'entretien entre Annie Le Brun et Pascale Lismonde, publié dans le n°62 de la revue Art Absolument : parution le 7 novembre 2014
N°62 - Novembre/Décembre 2014
Annie Le Brun : Sade est pour le XIXe siècle la figure maudite par excellence mais il n’en est pas moins lu par tous ceux qui pensent : Baudelaire, Flaubert, Huysmans, Mirbeau…, les Goncourt l’évoquent fréquemment dans leur Journal, rendant compte de sa présence dans les milieux artistes qu’ils fréquentent. À l’inverse, Sade ne semble pas avoir de rapport particulier avec la peinture. Mais dans la mesure où il est hanté par l’irreprésentable du désir, son propos rencontre les préoccupations des peintres d'alors au moment où les normes de la représentation sont particulièrement remises en cause, conséquence de la période révolutionnaire et de la montée de l’incroyance. C’est le début d’une révolution qui commence avec Ingres et Delacroix pour se prolonger à travers Cézanne et Picasso. En fait, cette exposition « révèle » alors, au sens photographique, une histoire secrète au cours de laquelle le désir échappe peu à peu à ses représentations codées, y compris à celles de l’imagerie licencieuse, pour devenir le sujet même de la peinture. Pourtant, leur grande diffusion au moment de la révolution témoigne d’un décentrement, de même que l’intérêt pour les premières gravures anatomiques en couleur, à commencer par celles de Gautier d'Agoty, qui rend compte d’interrogations nouvelles recoupant celles de Sade cherchant les ressorts de l'âme humaine jusque Dans la nuit du corps.
Ainsi, un étrange chemin se dessine de La Chasse aux lions de Delacroix, où lions et chevaux s'affrontent dans un terrible corps-à-corps, jusqu'à La Femme étranglée de Cézanne, saisie au moment du crime, dans un corps-à-corps comparable avec son assassin.
Il est fascinant de voir comment, tout au long du siècle, la violence du désir qu’on a reproché à Sade d’avoir dévoilé travaille les enjeux majeurs de la représentation qui se libère à son tour des présupposés religieux, idéologiques, moraux ou sociaux pour figurer l'image du corps et ses métamorphoses. « Si vous voulez le fond du coffre, l’escalier secret de l’alcôve, ne perdez jamais cette dernière clé », note Sainte-Beuve à propos des écrits de Sade. Mais ce rôle de clandestin, il le joue aussi dans l'histoire de la peinture. […]
Extrait de l'entretien entre Annie Le Brun et Pascale Lismonde, publié dans le n°62 de la revue Art Absolument : parution le 7 novembre 2014
N°62 - Novembre/Décembre 2014
Quand
14/10/2014 - 25/01/2015
Les artistes
Eugène Delacroix
Auguste Rodin
Edouard Vuillard
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